Emmanuelle Marcelpoil et Vincent Boudières
Les Arcs, une gouvernance en panne
La station des Arcs, située sur la commune de Bourg Saint Maurice, est une station dite de troisième génération selon la classification de Cumin (1970). La spécificité de cette génération de stations repose sur le fait qu’elles ont été créées en site vierge, par un seul opérateur qui avait en charge de créer et d’exploiter l’ensemble des activités de la station (remontées mécaniques, hébergements, commerces…). Ces stations ont donc été dénommées stations intégrées au regard de ce modèle de gestion et s’inscrivaient dans la politique touristique de l’Etat, qualifiée de Plan Neige. Cette création ex-nihilo a nécessité de nombreuses expropriations foncières, suscitant une hostilité importante de la part de la population locale du village d’Hauteville-Gondon, première commune support de la station. Ce n’est qu’après une fusion entre Hauteville-Gondon et la commune de Bourg Saint Maurice, que cette dernière est devenue la commune support de la station des Arcs. Roger Godino, associé à Robert Blanc, est donc l’opérateur privé de la station et a signé une première convention avec la commune en 1961, par l’intermédiaire de la Société des Montagnes de l’Arc (SMA). Pour ces deux hommes, la particularité du projet réside dans le fait d’avoir constitué, dès le départ, une équipe pluridisciplinaire (intégrée), un melting pot de compétences avec des architectes, des urbanistes, des exploitants et des animateurs dont la mission est de concevoir, de porter et réaliser le projet des Arcs (Boudières, 2003). Godino, en s’inscrivant dans la politique d’aménagement touristique de la montagne de l’époque, a proposé de nouvelles formes d’investissement. Afin de favoriser l’adhésion des propriétaires potentiels au projet de territoire, ils les ont notamment encouragé à entrer dans le capital de la société, via un club d’actionnaires. Cette démarche permettait aux propriétaires de participer aux décisions relatives à la station, tout en acquérant leur logement à un prix préférentiel.
Au début des années 80, la chute du marché immobilier a placé la station et donc la SMA dans une situation financière difficile. Ces difficultés ont obligé cette dernière à ouvrir son capital. C’est ainsi que la Compagnie des Alpes (CDA) a pris majoritairement le contrôle de la SMA et revendu l’ensemble des activités détenues par la SMA, en ne conservant que la gestion des remontées mécaniques. Cette désintégration dans la gestion de la station a permis à d’autres acteurs, d’entrer dans la station en reprenant certains secteurs d’activité de la station. C’est le cas notamment de Pierre et Vacances qui a racheté une partie du parc d’hébergement. Aujourd’hui la SMA, en tant que filiale de la CDA reste l’opérateur important sur la station, en ayant le statut de concessionnaire pour l’exploitation du domaine skiable (remontées mécaniques et pistes).
À l’heure actuelle, les Arcs se caractérisent par un mode de délégation totale entre commune et SMA et un mode de gouvernance mixte selon la typologie de Colletis et al. (1999). Entre la SMA et la commune, les relations sont difficiles. Ce climat conflictuel est lié d’une part, à un manque d’implication de la commune de Bourg Saint Maurice dans les affaires de la station. En effet, pour ce modèle de station, la population locale n’a pas été encouragée à participer au projet de développement. De plus, le territoire de station étant distinct de celui du bourg de vallée, ceci renforce les oppositions dans les logiques entre le bas et le haut.
Les équipes municipales successives ne sont pas parvenues à instaurer de réelles légitimité et culture d’intervention communale, sur le territoire de station. Ces élus d’une commune carrefour de vallée, ont été tiraillés entre les préoccupations du développement du bourg-centre, exprimées par leur électorat et les enjeux touristiques de la station. De plus, le poids historique de la SMA ainsi que sa délégation totale en matière de gestion du domaine skiable lui ont conféré et lui confèrent encore un réel pouvoir. Jusqu’au milieu des années 80, la gouvernance aux Arcs était alors de type privée, fondée sur l’hégémonie de la SMA dans les décisions relatives à la station.
La proximité organisationnelle existe de fait, fruit d’une longue histoire et d’une contractualisation de relations entre deux partenaires principaux de la station que sont la commune et l’opérateur privé de remontées mécaniques. Aujourd’hui, cette proximité organisationnelle ne persiste qu’au travers des conventions écrites mais sans proximité cognitive entre les deux acteurs principaux. Ces deux acteurs ne partagent pas les mêmes objectifs en termes de gestion pour la station, s’ignorent presque mutuellement, mettent en exergue le non respect des engagements mutuels… autant d’éléments qui mettent à mal l’idée d’un objectif commun de management de la station. La désintégration de la station explique en grande partie la dilution de la proximité cognitive : en effet, les pans d’activité, jusqu’alors détenus par l’opérateur privé unique, ont été confiés à d’autres opérateurs extérieurs. Ce démantèlement a engendré un sentiment d’éclatement de la station et l’absence de gestion globale, comme le précise le créateur des Arcs, Roger Godino (1996) : « l’éclatement voulu et opéré par les nouveaux actionnaires, conduisant à la désintégration de la station, est préjudiciable à un développement harmonieux ». Ce déficit de gestion a mis en exergue les logiques commerciales individuelles des acteurs économiques (commerçants, restaurateurs, hébergeurs…), entraînant un manque de mobilisation collective pour le devenir de la station. L’absence d’intérêt collectif pour cette catégorie d’acteurs est également entretenue par la bonne rentabilité financière de leur commerce. Les conditions ne sont donc pas réunies pour envisager, sur la station des Arcs, l’émergence d’un acteur collectif à même de porter un projet global.
Dans le même temps, d’autres groupes de la station, non directement impliqués dans la relation formalisée entre autorité organisatrice et opérateur privé sont eux cimentés par une proximité cognitive, une forme de confiance fondée sur des relations interpersonnelles, des stratégies familiales, voire la référence à une histoire du développement de la station. C’est dans ce climat tendu, que la société civile se mobilise, soit pour signaler le fait qu’elle se sent exclue des décisions relatives à la station, soit pour jouer un rôle de médiateur entre les acteurs. Le premier cas illustre la stratégie de certaines associations de copropriétaires qui dénoncent des dysfonctionnements liés à l’entretien des espaces collectifs sur la station. Dans les stations intégrées, les propriétaires, en acquérant leurs logements (espaces verticaux), sont également propriétaires des espaces collectifs horizontaux (cheminements piétonniers, espaces verts…). Cette particularité leur confère une certaine place en matière de gestion urbanistique de la station, ne se traduisant toutefois pas par une implication privilégiée. Ces propriétaires, constitués en associations, manifestent par leur action, leur mécontentement de se voir évincés de la plupart des choix de développement de la station. Leurs choix peuvent être antagonistes des objectifs de performance touristique. Ces résidents secondaires n’adhèrent pas forcément aux politiques d’augmentation de la fréquentation sur la station et de ciblage de la clientèle étrangère. Ils rejettent également, notamment sur le site d’Arc 1800, la clientèle de « jeunes nord-européens » amenés par les tour-operators. De même, ces acteurs se sentent investis dans le maintien et la protection de la station, considérée comme leur patrimoine. Ce sont les spécificités architecturales et urbanistiques qui sont mises en avant et, dans ce cadre, l’environnement est directement associé au cadre de vie et à sa qualité.
Le second cas illustre notamment la démarche de l’association AFAA (Association des Fondateurs et Amis des Arcs), laquelle a cherché par des réunions publiques, à favoriser une réflexion sur la gouvernance dans la station et plus largement, l’élaboration d’un projet collectif. L’AFAA déplore le manque de cohérence de gestion de la station et revendique la conservation du patrimoine architectural, associé notamment à de grands noms d’architectes locaux. Plus largement, l’AFAA s’inscrit dans la logique du développement durable : en ne restreignant pas la station à un simple outil de production, voire une zone industrielle (Boudières et al., 2004), l’association la considère comme un lieu de vie à l’année.
Revendiquant et reconnue comme porteuse de « l’esprit des Arcs», l’AFAA a cherché à renouer le dialogue entre l’ensemble des acteurs de la station. Un tel enjeu semble aujourd’hui relayé par la commune en engageant de son côté une démarche de gouvernance aux Arcs. Dans ce cadre, la démarche civile d’une association, portée par une proximité cognitive a rencontré un projet de structure de gestion encadrée par la municipalité. Cette réflexion collective a aujourd’hui abouti, mobilisant l’ensemble du système d’acteurs, privés, publics comme civils, au travers d’une association loi 1901, constituée le 27 avril 2005 et dénommée précisément « L’esprit des Arcs ». Cette organisation traduit une nouvelle proximité organisationnelle, d’une part, en mobilisant les acteurs centraux de la station (autorité organisatrice et opérateur privé) et d’autre part, en élargissant cette proximité à des acteurs auparavant exclus. Cette association loi 1901 préfigure à court terme la constitution d’un Groupement d’Intérêt Public, dont le bon fonctionnement dépendra du maintien et de la qualité de la concertation entre l’ensemble des acteurs, une concertation qui a cruellement fait défaut ces dernières années. La proximité organisationnelle n’est pas synonyme de l’existence d’une proximité cognitive sur la station. Des proximités cognitives partielles se sont développées entre certains groupes d’acteurs. La réussite du projet de la structure « L’esprit des Arcs » pourra favoriser l’élargissement de ces proximités cognitives à l’ensemble de la station.
Référence électronique
Emmanuelle Marcelpoil et Vincent Boudières, « Gouvernance touristique des grandes stations et durabilité. Une lecture en termes de proximité », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 7 : Proximité et environnement, mis en ligne le 18 mai 2006, Consulté le 18 août 2009. URL : http://developpementdurable.revues.org/index2648.html