Texte provenant du site www.ecole.org édité le 03 juin 1994
LA CRÉATION DE LA STATION DES ARCS
ou le management d'une utopie
par
Roger GODINO
Créateur de la station des Arcs
Séance de juin 1994
Compte rendu rédigé par Pascal Lefebvre
Bref aperçu de la réunion
"Pour faire des affaires, il suffit d'avoir un bon marché, un
bon produit, de bons gestionnaires et l'argent suit" enseignait
Roger Godino à l'Insead. "Puisque vous avez le marché et le
produit dans la station de montagne que nous avons imaginée
avec vous, allez-y vous-même !", lui lancent ses élèves. Il en
résulte trente ans de passion et de stratégie, d'inventions et de
dangers, et une belle leçon de management.
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L'idée
Sorti de l'École polytechnique, j'ai poursuivi des études d'économie aux Etats-Unis. J’y avais
bien choisi mes professeurs puisque deux d'entre eux, Leontieff et Samuelson, ont eu le Prix
Nobel ! J’y ai également découvert la Harvard Business School et c’est là que je me suis
passionné pour le management.
De retour en France en 1958, j'ai participé à la fondation et au développement de l'Insead,
d’abord comme professeur puis comme doyen jusqu’en 1971. Dans ce cadre, j'utilisais
beaucoup la méthode des cas qui me permettait d'exposer aux étudiants les problèmes auxquels
j’étais confronté dans mon activité de consultant.
A cette époque, Olivier Guichard et Jérôme Monod animaient la Datar, organisme extrêmement
actif et véritable laboratoire d'innovations. En ma qualité de savoyard, j'avais été sollicité pour
étudier la reconversion de la région de Bourg Saint Maurice, durement touchée par la dépression
économique qui avait succédé à la prospérité accompagnant la construction du barrage de
Tignes. En cette fin des années 50, et bien qu'on fût en plein dans les trente glorieuses, on
sentait que toute l'économie rurale de montagne était en difficulté. Fallait-il la laisser se
dépeupler en laissant ses populations partir vers les villes ou fallait-il impulser un renouveau
économique de la région ?
A l’Insead, nous n’avions pas pour vocation de former des aménageurs du territoire, mais des
gens qui allaient décider dans des entreprises. Mon enseignement visait donc à faire comprendre
aux étudiants que les marchés étaient une donnée incontournable et que si on avait un produit,
un marché et des gestionnaires capables, on devait pouvoir trouver de l’argent pour constituer le
capital d'une entreprise.
On s'est donc posé le problème de la Tarentaise en se disant qu'il y avait sûrement des choses
formidables à faire. Pour de jeunes étudiants, leur parler de sports d’hiver, ça les changeait un peu de la sidérurgie. À Bourg Saint Maurice, il y avait du personnel montagnard disponible,
une fantastique montagne et un produit incontestable : le ski. Il n'était pas bien compliqué de
démontrer que le marché potentiel était considérable, les collectivités locales étaient
demandeuses et la Datar prête à aider le projet : si quelqu’un se penchait sur ce problème,
évidemment il allait réussir et les problèmes d’argent se résoudraient !
C'est ce que je disais à mes étudiants et, bien sûr, ils m'ont interpellé : “Si c’est si facile,
pourquoi ne le faites vous pas ?” et j’ai eu la faiblesse de répondre : “Pourquoi pas ?” Je
pensais pouvoir traiter ce problème en marge de mon activité principale. Ce fut une erreur : une
création devient très vite pour son chef une affaire à temps plein. Aussi, alors que la première
pierre aux Arcs date de 68, mon banquier, un peu inquiet de l'ampleur que prenait l'opération,
finit par me demander en 1971 de choisir entre l’Insead et les Arcs. J’ai donc quitté l’Insead,
suivi par deux assistants : un luxembourgeois, Fernand Koos et un français, Guy-François
Motte, qui m’ont puissamment aidé.
L'étude préalable du marché fut très simple. Connaissant le revenu par tête, la population, les
distances des champs de neige, un petit modèle économétrique donne le nombre de skieurs
potentiels. Sur une Europe de 350 millions d’habitants, on pouvait escompter 35 millions de
skieurs. En 1958, il y en avait 100 000 en France, en 1968, 1 million et nous savions,
mathématiquement, et à condition de ne pas trop nous tromper sur la croissance, qu’en 1980, il
y en aurait 4 millions.
On s’est alors dit : “Le ski va se démocratiser, il va donc y avoir des phénomènes
d’ajustement de marché : avec 4 millions de skieurs le phénomène va changer de nature. II
va donc falloir adapter les produits et ne pas simplement recopier ce qui existe".
Le produit
Mais pour démarrer une affaire et trouver de l'argent, une étude de marché ne suffit pas, il faut
aussi un produit, en l'occurrence un espace. Il a alors fallu discuter durement avec les pouvoirs
publics et les collectivités locales. On leur disait : "Nous n’avons pas d’argent, mais du
savoir- faire et une volonté, alors faites-nous confiance. Il nous faut une convention de
développement et un droit exclusif d’acquisition des terrains sur tout le territoire des
communes de Bourg Saint Maurice, Villaroger, Peisey, etc". Pour obtenir cette concession de
30 ans, il a fallu qu’on s’engage sur un calendrier minimum de développement : si on le
respectait, on garderait tout, sinon, on perdrait tout.
Comme à l’époque les préfets avaient un droit de vie ou de mort sur les projets des communes,
il fallait également avoir l’approbation du préfet. J’ai alors eu la chance d’avoir affaire au préfet
Grimaud, un homme de très grande dimension, qui m’a fait plancher pendant toute une matinée
pour expliquer mes idées et a accepté.
Le problème était alors de définir un concept de développement. Nous étions évidemment très
influencés par notre expérience à l'Insead et nous avons donc décidé, très naturellement, sans
avoir le sentiment de découvrir quoi que ce soit, que ce serait une station-entreprise.
A l’époque, beaucoup de vieux villages s'étaient, comme Mégève, équipés de remontées
mécaniques et d'hôtels, pour donner du travail aux paysans inactifs durant l'hiver. Malgré leur
charme, ces stations de la première génération n'étaient en réalité que des villages d’été,
aménagés sans aucune planification. Les premiers principes d’aménagement datent du Front
populaire, avec Léo Lagrange et le savoyard Pierre Cot, qui ont pratiquement inventé le concept
de vacances d’hiver populaires avec Courchevel. Au lendemain de la guerre, un ingénieur des
Corps des Ponts, M. Michaud, homme de grande importance pour la Savoie, a pris en main les
destinées de la station et a mis en place toute la base de la gestion des domaines skiables :
damage des pistes, sécurité, etc., sur le modèle de ce qui se faisait alors aux Etats-Unis.
Courchevel nous a donc servi de référence Par ailleurs, Emile Allais, qui était à Courchevel et à
qui j'avais demandé les reconnaissances des domaines skiables, avait dit : “C’est vraiment un
endroit rêvé pour faire une station de sports d’hiver”, et l’opinion d’Emile Allais, à
l’époque, ça comptait !
Sur ces bases, on a mis en place notre modèle de développement : ce que nous allions faire
s’adresserait aux skieurs et serait alimenté financièrement par le marché. Tout étant lié nous
avions l’absolue conviction qu’il fallait maîtriser et contrôler tous les aspects de ce
développement, y compris les remontées mécaniques, l’exploitation hôtelière et l'animation.
Notre modèle était le Club Méditerranée, c’est-à-dire l'offre d'un service complet, intégré, et
non la vente de mètres carrés.
Après études et réflexions, on s’est également dit que notre produit n'était pas seulement le ski,
mais la vie à la montagne en (ou hors) période de vacances. Or on savait bien que le ski était
affaire de jeunes et ne pouvait s’adresser à toute la famille. Deux paramètres me sont alors
apparus comme fondamentaux : les activités d’été et la culture. Notre triptyque marketing a
été : “Ski, Culture, Eté”. Autour de cela, on devait pouvoir imaginer un concept compétitif,
répondant à l’avenir. Tout notre processus de planification en a découlé : chaque fois qu’on
faisait un plan en blanc, il fallait le faire aussi en vert. Une remontée mécanique c’est très bien
l’hiver, mais qu’est-ce que ça donne l’été ? Une implantation urbanistique, un hôtel, qu’est-ce
que ça donne l’hiver et qu’est-ce que ça donne l’été ? Il a fallu minimiser les contradictions
entre les principes d’aménagement pour l’hiver et pour l’été : c’était vraiment de l’innovation,
mais on nous accusait d’être non rentables.
Par exemple, il existe un terrain de 40 hectares absolument superbe, où tout promoteur
immobilier voudrait construire. Mais ce devait être le poumon de l'été et il a été déclaré
inconstructible; pour être sûr qu'il ne puisse jamais être construit j’y ai créé un golf et je me suis
tout de suite efforcé de lui trouver 200 actionnaires : quand des golfeurs possèdent quelque
chose, pour le reprendre, il faut plus qu’une révolution ! Ce golf, effectivement, existe
toujours, il est certes menacé de partout, les immeubles butent, mais ils ne peuvent pas aller
plus loin.
J’avais également repéré que ce qui marchait bien l’hiver c’était les écoles de ski, parce qu’elles
servaient d’animation. Quand on crée un processus pédagogique, il y a des professeurs, des
élèves, des échanges, et autour de ces échanges on peut créer une économie. Face au caractère
pénible et lent de l'enseignement traditionnel du ski, nos moniteurs avaient mis au point la
méthode du ski évolutif qui, avec des skis plus courts que la norme, permettaient au skieur
débutant de pouvoir se débrouiller en quelques jours sur les pistes.
On a aussi décidé de créer un école de golf sur ce principe, en appliquant toutes les méthodes
modernes de formation. On prenait les gens en groupe, on leur mettait des clubs dans la main
et, avant de leur dire à quoi ils servaient, on les emmenait sur le terrain avec des grands joueurs,
en leur disant : "Pour la première fois, vous ne taperez pas dans la balle, mais vous aurez
quand même le club en main et vous allez voir comment ça se passe". Après huit jours,
quand les gens revenaient dans la région parisienne et qu’ils se retrouvaient sur des terrains, ils
faisaient bonne figure. Inutile de vous dire qu’on a eu à se battre contre toutes les fédérations
mais, à un moment, la moitié des licenciés de golf français était passée par les Arcs.
Dans les vacances d’été, l'eau joue un rôle particulier, or l'été, à la montagne, il n’y a pas d’eau
et les piscines sont d’une telle tristesse ! Un de nos guides a alors eu une idée géniale : aux
Arcs, l’eau c’est l’Isère. Aussitôt l’idée d’utiliser la rivière comme aux Etats-Unis le Colorado a
surgi et le rafting est né en France.
Pour l'hiver également nous voulions faire rêver les gens, c’est-à-dire les sortir du concept
d’usine à ski. Le ski, c’est la montagne, la neige profonde, le ski total. Par conséquent, il fallait
des remontées mécaniques qui permettent d’aller très loin et des guides pour encadrer. Mais
pour avoir vite beaucoup de remontées mécaniques il faut qu'elles soient peu coûteuses. J’ai
donc couvert la station de téléskis et de télésièges, au grand dam des ingénieurs qui rêvaient de
téléphériques de plus en plus gros et de plus en plus performants. Ce qui m’intéressait, c’était
d’avoir des gens heureux et ce qui les intéressait dans le ski, c’était la descente, pas la montée.
Si j’avais pu me passer de la montée et ne vendre que de la descente, c’est ce que j’aurais fait !
J’ai mis de l’argent sur la formation des guides et des moniteurs, pas sur les machines. Un
grand alpiniste, qui avait dirigé l'école de montagne de Chamonix, M. Dufourmantel, a trouvé
une quinzaine de guides de haut niveau qui ont constitué la base de l'encadrement du site.
Certains sont devenus des gens célèbres, certains étaient des artistes, tous ont fabriqué cette
nouvelle façon de skier.
Cependant l'idée d'un ski évolutif, peu rapide, risquait d'être mauvaise pour notre image. C'est
pour cela qu'on a créé sur l'Aiguille Rouge une piste de vitesse absolument gigantesque, sur
laquelle les champions viennent chaque année du monde entier pour battre le record du monde
de vitesse à plus de 240 km/h !
L'architecture
En fonction de ce produit, on a commencé à dessiner la station, tant du point de vue
urbanistique que du point de vue architectural.
Evidemment, on ne voulait pas de voitures dans la station : si les gens viennent à la montage,
ils doivent pouvoir marcher un peu ! Plus innovant : il fallait reconstruire une ambiance de vie.
Ça a été une grande période de créativité et de recherche. Nos calculs nous faisaient prévoir
30 000 lits, ce qui est considérable1. Comment créer dans une telle agglomération des centres
Le "lit" à la montagne est l'unité de gestion : c'est en fonction du nombre de lits qu'on a le nombre de skieurs, la consommation en eau, les besoins de transport et d'alimentation, etc. C'est plus le "lit" que le "mètre carré", parce que, que les gens soient entassés les uns sur les autres dans un couloir ou qu'ils soient dans un hôtel 5 étoiles avec 200 m2 par personne, les besoins restent les mêmes.
de convivialité ? Comment répondre au rêve du petit chalet isolé dans la montagne, mais où
l'on puisse quand même aller en voiture, où l'on ait toutes les remontées mécaniques à portée,
et aussi le cinéma ?
Là, j'ai compris que j'étais en face de problèmes pour lesquels je n'étais pas préparé, et qu'il me
fallait innover. J'avais commencé avec une petite équipe d'architectes locaux, mais quand j'ai
vu pousser le premier immeuble, les "Trois Arcs", il ressemblait tellement à tout ce qu'on avait
construit à Courchevel que j'ai tout arrêté. C'est alors que, grâce à l'architecte Denis Pradel, j'ai
rencontré Charlotte Perriand, une femme extraordinaire, parmi les premières à avoir été
reconnue par Le Corbusier. Revenue en France après de longs séjours dans la Russie et le
Japon d'avant-guerre, elle avait notamment étudié l'aménagement des Trois Vallées. Autour
d'elle, nous avons constitué un groupe d'architectes et d'urbanistes, mais sans décorateur, car
pour Charlotte, la décoration est la mesure de l'imperfection de l'architecture.
Mais quand on innove, notamment en architecture, cela coûte toujours cher et quand on va
contre les habitudes, le marché peut ne pas répondre. Il y a un conflit permanent entre le
vendeur immobilier, qui préfère ce qui est classique et se vend plus facilement, et le créateur
qui, en quelque sorte, impose ses choix au marché. Charlotte disait : "Il ne faut pas forcément
suivre les goûts du client parce qu'il ne sait pas ce qu'il veut en réalité. Il faut parfois
avoir le courage de discuter avec lui et, s'il le faut, de le former".
Elle avait, par exemple, inventé ce qu'en jargon d'architecte on appelle des cellules, faites pour
la famille moderne allant faire du ski. Dans une famille moderne, il y a trente ans, la femme
faisait la cuisine, s'occupait des enfants, et après seulement pouvait aller skier. Charlotte s'était
dit qu'il fallait décharger la femme de toutes ces contraintes en équipant la cuisine d'un
maximum d'automates et en l'ouvrant sur le séjour pour recréer une convivialité. Les clients en
étaient d'abord dérangés, mais Charlotte avait spécifié dans son contrat qu'aucune modification
ne pouvait avoir lieu sans son accord. Et elle n'hésitait pas à discuter elle-même avec les
acheteurs pour les convaincre du bien-fondé de ses aménagements. Deux ans après, les
propriétaires en question, ravis, demandaient son adresse pour qu'elle dessine leur maison de
campagne.
Je donnerai un deuxième exemple : dans un immeuble, si on a de grandes terrasses, celle de
l'étage du dessus fait de l'ombre à l'appartement du dessous, ce qui fait que les 3/4 des
immeubles ont un petit balcon sur lequel on ne peut pas mettre une chaise longue. On a utilisé
deux techniques pour contourner cet inconvénient : celle des façades décalées, utilisée à Arc
1600 et qui a été copiée dans le monde entier, et celle des célèbres appartements à mezzanines
d'Arc 1800, qui toutes deux ont permis aux résidents des Arcs de profiter à la fois des terrasses
et de la lumière.
Dans le domaine de la pollution et de l'énergie, nous avons également été précurseurs. A
l'époque, EDF cherchait à promouvoir le chauffage électrique intégré. J'ai donc signé une
convention pour faire d'Arc 1800 une vitrine de ces nouvelles techniques et EDF a financé
certaines innovations intelligentes. Grâce aux techniques des "éconovents" ( Il s'agit d'échangeurs thermiques réchauffant l'air froid qui rentre avec l'air chaud qui sort) avec chauffage
d'appoint électrique (automatiquement coupé à l'ouverture des fenêtres, ce qu'ignorent les
gens), on a fait des économies d'électricité considérables : on consomme à peu près 30 %
d'énergie en moins sur Arc 1800 que sur Arc 1600. Et comme c'est du tout électrique, il n'y a
aucune pollution.
La culture
Les vacances sont un moment privilégié dans la vie des hommes ; on assiste à une réduction
inéluctable de la durée du travail, et nous pensions que de plus en plus de gens auraient du
temps disponible. Par conséquent, utiliser la montagne seulement pour le ski, ou pour le sport,
nous paraissait trop limitatif. Ça pouvait être aussi autre chose, la culture par exemple.
Là aussi, il nous fallait essayer d'être modernes, c'est-à-dire de répondre au concept
d'excellence, base de tout ce que nous voulions faire. J'ai tout de suite voulu marquer par un
symbole l'importance de la chose et dès 1968, en même temps que l'hôtel des Trois Arcs, j'ai
fait construire une magnifique coupole à Arc 1600, baptisée Théâtre de la Coupole. C'est une
innovation architecturale, dessinée par Pierre Faucheux, une voûte en bois, parfaitement
sphérique, réalisée par des compagnons du tour de France. Cet enchevêtrement d'arcs était
tellement beau, que j'en ai fait le sigle des Arcs.
Au début, je me suis inspiré des séminaires de l'Aspen Institute dans le Colorado. Notre
premier séminaire a porté sur le concept d'environnement, c'était le premier sur ce thème en
Europe. Puis on a un peu bafouillé, si j'ose dire. Ce qu'on faisait ne répondait pas forcément au
principe d'excellence. On devenait progressivement un lieu de spectacles, mais des spectacles il
y en a partout.
Et puis un jour, à la Fondation Royaumont, j'ai rencontré un groupe de musiciens et de
philosophes avec qui j'ai discuté pendant deux jours. Il y avait parmi eux Yves Petit-Devoize
qui paraissait avoir une très grande culture et en même temps une connaissance intime des
processus de production et de création musicale. Je lui ai proposé de nous rejoindre et
l'Académie de musique des Arcs est née.
Mais demander à un grand musicien de faire un concert aux Arcs ne présente pour lui
strictement aucun intérêt autre qu'économique. Alors, pour rester excellents, on a cherché autre
chose et on a trouvé que les grands musiciens sont des solitaires, qui passent d'avions en
hôtels, de répétitions en cocktails, donnent un concert, recommencent, puis se réfugient chez
eux pour réfléchir et jouer. Alors on s'est dit : "On va les réunir entre eux et leur donner
l'occasion de rencontrer d'autres musiciens, de faire un peu de formation". J'ai donc décidé
d'inviter chaque été pendant trois semaines, gratuitement, à une date convenue à l'avance et
connue de tous, un certain nombre de grands musiciens. Et il s'est passé des choses
extraordinaires. Tous s'en souviennent comme d'une période de grande et heureuse création
dans leur carrière. Et bien sûr, comme les concerts étaient gratuits, sous peine d'avoir à faire
avec les impresarios et la Sacem, les résidents en ont profité et notre image aussi.
Le financement
Dernier point : le financement. J'avais compris que ce n'était pas les banquiers qui allaient
m'aider. Quand on besoin de capital, ils fuient, à moins qu'on ne présente des garanties
hypothécaires, en particulier des terrains, et de préférence bâtissables. J'ai donc court-circuité
tout le système de financement et je me suis adressé directement aux épargnants, en particulier
ceux qui aimaient le ski, en leur ai tenant ce langage : "Au lieu d'acheter un appartement à
Courchevel ou Méribel, hors de prix parce que le promoteur immobilier prendra le bénéfice
maximum, je vous propose de faire ensemble une nouvelle station, qui sera vôtre. Je vous
demande 20 000 francs, c'est-à-dire vraiment peu, et vous serez actionnaires. Ces 20 000
francs, je ne vous les rembourserai jamais, c'est du capital ; je ne sais pas quand je
pourrai vous donner un dividende, mais vous allez participer à toutes les grandes décisions
de développement, (ce fut le club des montagnes de l'Arc) et je vous donnerai la gratuité sur
les remontées mécaniques. Et enfin, si vous voulez rentrer dans un programme immobilier,
je vous vendrai le mètre carré au prix de revient". Je leur vendais effectivement moins cher
qu'au client normal, mais j'économisais la commission de vente, quelques frais, et en
contrepartie, ils prenaient des appartements pour trois fois le montant de leurs actions.
Et ce fut un succès. L'argent arrivait, atteignant 20 millions de francs. Je visais 100 millions de
francs car j'avais besoin de fonds propres, mais un jour, Olivier Giscard d'Estaing, le directeur
de l'Insead, me dit que son frère, le ministre des Finances, souhaitait me voir. En fait, il voulait
me prévenir que mon système d'appel public à l'épargne contrevenait à la législation et que je
risquais gros. C'était le début de la législation pour protéger l'épargne et empêcher le
démarchage abusif. Je suis donc resté à 20 millions, bien content de m'en tirer à si bon compte.
Si un entrepreneur innovateur devait connaître toutes les lois, il ne serait plus entrepreneur
innovateur !
Il me fallait donc trouver d'autres financements. Mais le Crédit Lyonnais, pourtant sollicité par
Valery Giscard d'Estaing pour me capitaliser, me dit : "Vous n'avez pas besoin de capital,
vous avez 20 millions, c'est beaucoup, par contre vous avez des terrains formidables. On
peut vous financer par crédit sans aucun problème."
Et je suis rentré dans le processus de la promotion immobilière par force. Parce qu'à partir du
moment où l'establishment financier refusait d'entrer dans le capital, et refusait toute autre
solution que les crédits sur garanties hypothécaires, on a été obligé de rechercher une autre
clientèle d'investisseurs. J'ai dû abandonner une stratégie essentiellement basée sur les hôtels et
il m'a fallu inventer tout le système du para-hôtelier, c'est-à-dire les appartements mis en
location pour rembourser en partie le prêt, tout en laissant au propriétaire la jouissance de son
bien 15 ou 20 jours par an. Un changement du système de financement a donc imposé un type
de développement différent. Désormais, j'étais accroché à un modèle où il fallait que la
promotion immobilière aille le plus vite possible pour être rentable. Une année, j'ai ainsi
construit et vendu 40 000 mètres carrés !
Ensuite les choses se sont dégradées. En 81, la grave crise immobilière a laissé des invendus
pendant quelques temps. Puis, du jour au lendemain, les taux d'intérêts sont devenus positifs,
l'inflation s'est effondrée. Avant on avait 12 % d'inflation et 14 % de taux d'intérêt, ce qui
permettait de faire de la promotion immobilière, les 2 % de différence étant repris en valeur
locative. Cela permettait de ne pas craindre de supporter le stocks immobiliers. Par contre, en
passant à des taux d'intérêt de 10 % et à 5 % d'inflation, le locatif ne donnait plus les 5 %
manquants et on courrait à la faillite à moins de ne jamais avoir de stocks ou de ne rien
emprunter.
J'en ai eu l'intuition et j'ai arrêté le processus de promotion immobilière volontairement ; mais
j'avais des programmes en cours et il fallait donc restructurer les fonds propres. Il fallait de 100
à 200 millions. Mais quand on passe de 20 à 200 millions de capital et qu'on ne rajoute pas
d'argent soi-même, en général ce sont ceux qui le font qui prennent le pouvoir, car ayant la
propriété, ils s'imaginent aussi avoir la compétence.
J'ai donc essayé d'augmenter progressivement le capital à partir de 83, ce qui m'a demandé un
travail considérable de préparation. Après un échec en 84 avec le Crédit Agricole, j'ai finalement
réussi en 87 avec la Caisse des Dépôts, Saint-Gobain, le Crédit Agricole et le Crédit Lyonnais.
Et ce que j'avais prévu est arrivé : dans un premier temps, on m'a dit de rester, puis on a
transformé la société anonyme en société avec conseil de surveillance dont j'ai été nommé
président, donc strictement sans pouvoir. J'ai alors vendu ma part en 87 .
Cette affaire de financement m'a engagé dans un processus de développement différent de celui
que j'avais prévu et qui aurait pu me conduire à la faillite : la promotion immobilière peut servir
de locomotive au développement mais ne peut pas être le moteur de financement fondamental.
Maintenant, les choses sont différentes, le marché de l'immobilier s'est effondré. Il y a encore
100 000 mètres carrés à construire dans la station des Arcs; c'est une réserve pour l'avenir. Mes
successeurs, et notamment mon ancien directeur général, Jean-Pierre Saunois, ont développé un
plan stratégique complètement différent sur la Tarentaise, axé sur une croissance lente. Il a créé
et préside la Compagnie des Alpes, qui est une filiale de la Caisse des Dépôts, et qui contrôle
des domaines skiables à Tignes, aux Arcs, à la Plagne, aux Trois Vallées et à Chamonix. La
Compagnie a pris 100 % des remontées mécaniques et des systèmes d'exploitation de
remontées mécaniques, 15 % des filiales qui s'occupent de l'exploitation, 15 % de Pierre et
Vacances qui fait de la gestion immobilière, 15 % de MAEVA, filiale du Club Méditerranée qui
fait également de la gestion d'appartement, 15 % de Latitude, etc. C'est extrêmement intelligent
et ça marche bien.
Cette nouvelle philosophie correspond très bien à un système de gestion à croissance lente et qui
a besoin à chaque instant d'être bien géré ; vous imaginez que la croissance lente n'était pas ma
principale préoccupation auparavant. Par contre, parce que les modèles ont leurs forces et leurs
faiblesses, la station perd un peu de son âme. Ce déficit d'âme n'est pas grave au plan financier,
puisque les choses sont bien faites, mais il n'y a plus ni propriétaire, ni responsable de
l'ensemble de la station. Le problème du pouvoir se pose. Peut-être sera-t-il bon d'avoir un jour
un maire des Arcs ou un manager d'un type nouveau, une sorte de groupement d'intérêt
économique réunissant l'ensemble des acteurs de la station. Même s'il n'y a plus maintenant
d'autorité capable d'innover, il faudra pourtant que ça renaisse sinon tout va vieillir. Mais là, on rentre dans l'histoire d'une ville qui existe et le management des villes, c'est une toute autre
chose.
Les modèles de l'action
Un intervenant : Vous faites toujours référence à Courchevel et peu à des opérations
antérieures aux Arcs, comme la Plagne ou Tignes, qui sont de parfaits contre-exemples de
ce que vous venez d'exposer, ou Avoriaz qui relève d'un concept proche, y compris dans
l'aspect culturel.
Roger Godino : Je vous ai tout simplement dit la vérité, c'est-à-dire que nous étions très
proches de Courchevel. Robert Blanc venait de Courchevel et on travaillait avec l'équipe de
Michaud.
Tignes a effectivement été pour nous le contre-exemple. Flaine aussi, c'est l'anti Arcs en ce
sens que la station s'est faite sur une montagne d'argent. M. Boissonnat voulait faire sa station
et vendait ses actions à la bourse de New-York quand il avait des besoins de trésorerie. C'était
quelqu'un de très riche qui voulait faire une oeuvre. Flaine est une belle chose. Il l'a confiée à
Brauer, le grand architecte américain spécialiste du béton. Je trouve qu'il y a une
correspondance entre la qualité du béton des façades, cette architecture stricte, et la morale des
protestants qui l'ont construite, ce qui n'est sans doute pas le fait du hasard.
Avoriaz, par contre, est bien sûr un concept commercial mais qui, dès l'origine, a eu deux
architectes géniaux. Ils ont eu le courage de dire : "On ne peut pas construire que des
HLM !" et ils ont fait l'hôtel des "Dromont". Avoriaz m'a donné le courage de refuser la mode
de l'époque et de chercher autre chose.
Int. : Vous semblez regretter l'évolution du programme originel, massivement hôtelier,
vers la location. Pourtant, aujourd'hui, la plupart des hôtels de station ferment ou se
transforment.
R. G. : L'idée qu'il faille que les gens soient propriétaires d'appartements pour pouvoir loger
en montagne est un peu saugrenue. Est-ce que le Club Méditerranée fait des appartements pour
loger ses clients ?
C'est le processus de financement qui impose de construire des appartements et empêche de
construire des hôtels. Ça montre à quel point l'époque contemporaine est une époque de
gaspillage. On parle de chômage, de productivité, de nécessité de créer des emplois alors qu'on
supprime dans les stations tous les services en obligeant les gens à faire leur propre cuisine et à
nettoyer eux-mêmes leur appartement. On organise la productivité en investissant des milliards,
alors qu'il est clair que le développement hôtelier est source d'emplois. Mais malheureusement,
c'est la logique financière qui commande, pas la logique économique.
J'accuse les systèmes de financement et les jeux capitalistes mais c'est toute l'économie des
services qu'il faudrait repenser. L'hôtellerie de montagne a deux difficultés : elle est saisonnière
(et tout ce qui est saisonnier est délicat), et on en a fait une caricature de service hôtelier, qui n'a
rien à voir avec les besoins réels de la clientèle. Il faudrait réinventer l'hôtellerie comme Trigano
l'avait fait il y a 30 ans.
L'autorité et le dialogue
Int. : Les Arcs sont une oeuvre collective mais, en même temps, vous êtes l'autorité
centrale. Vous vous êtes défini comme un opérateur, mais qu'est-ce qu'un opérateur ?
R. G. : Je disais "opérateur" par rapport à "constructeur", dans le sens où j'étais un employé
qui exploitait, faisait marcher des hôtels, etc.
Par contre, "autorité centrale", sûrement. Ma méthode de management était de travailler par
consensus. Je regroupais toutes les personnes intéressées, y compris des gens de la commune,
dans de longues réunions de travail. Chaque mois nous avions une réunion générale, une grand
messe où tous les problèmes étaient passés en revue devant une bonne centaine de personnes,
jusqu'aux exécutants. On passait une journée à faire le tour des problèmes, chacun prenant la
parole à tour de rôle pour que tous soient au courant. Il y avait un énorme travail de synergie.
Int. : Qui a choisi vos collaborateurs ?
R. G. : Je les ai tous choisis moi-même. J'ai une certaine fierté à constater que tous ceux qui
m'ont quitté depuis on fait des choses intéressantes. Je crois que tout ce que j'avais fait
auparavant à l'Insead a pesé très lourd. C'était pour moi une fabuleuse occasion de mettre en
pratique un certain nombre d'idées que j'avais enseignées. C'était un laboratoire.
Int. : Quelles ont été vos relations avec la municipalité de Bourg Saint Maurice ?
R. G : Bourg Saint Maurice est la commune de France qui a le plus augmenté sa population
sur les trois derniers recensements. Jusqu'à il y a trois ans, la charge fiscale par tête, en francs
constants, avait baissé. Voilà deux données importantes. La commune a gagné beaucoup
d'argent sur le projet parce que je lui versais un pourcentage sur les recettes des remontées
mécaniques, et un autre sur tous les travaux faits sur les terrains de la station. Comme la
commune était maître d'ouvrage, elle empruntait pour les réaliser, mais c'est moi qui
remboursais à sa place. Ce système me permettait d'obtenir des emprunts au taux des
collectivités locales et procurait un bénéfice substantiel à la commune. Ça lui a permis d'être un
temps la commune la plus endettée de France alors qu'elle n'avait rien dans son passif.
La commune est donc devenue riche, ce qui a été dramatique puisqu'elle n'a alors plus eu de
cesse que de construire un téléphérique entre Bourg Saint Maurice et Arc 1600, puis le
funiculaire, dans lequel elle a investi 120 millions de fonds propres, ce qui en fait un
investissement démesuré car cet engin ne fait que doubler le service de la route. C'est le drame
des collectivités locales françaises, le principal drame de la décentralisation. Un préfet comme M. Grimaud n'aurait jamais donné son autorisation !
L'entrepreneur et le rêve
Int. : Est-ce que votre passion préexistait ou est-ce que ça a été un engrenage ?
R. G. : Ce n'était pas du tout un objectif de carrière, ce n'était pas non plus un rêve de
longue date. Simplement, ça me paraissait intéressant et j'ai complètement sous-estimé le niveau
d'implication que ça pouvait représenter.
Mais, j'ai toujours senti qu'il y avait une grande différence entre les managers et les
entrepreneurs et je me mettais résolument du côté de ces derniers. Dans les métiers de consultant
ou de professeur, quelque chose me manquait. J'en avais assez de travailler pour les autres,
j'avais envie de réaliser quelque chose, d'avoir un territoire.
Ce projet, c'était aussi se trouver à un moment historique, juste après 68, en pleine
croissance, et alors que la société de consommation cherchait autre chose avec enthousiasme,
remettant en question les modèles établis. Dans ce contexte, le projet a attiré des gens de valeur.
Aujourd'hui, quand je réunis les anciens, on parle de cette époque comme de vieux combattants.
Ce fut un rêve dont certains ne se sont toujours pas remis.
Certains de ces hommes de valeur ont joué un rôle essentiel, comme Robert Blanc,
autodidacte mais doué d'une capacité de communication exceptionnelle sur les choses de la
nature et du ski, et qui savait expliquer aux gens comment cueillir une fleur. Il voulait sa station,
et quand il est mort dans une avalanche, j'ai fait un petit livre sur lui, dans lequel j'ai essayé de
faire partager son rêve. C'était un berger qui avait passé toute son enfance dans la vallée de
l'Arc et rêvait d'en faire quelque chose. Le berger qui rencontre le polytechnicien, c'est devenu
un élément de légende.
Pour l'architecture, outre Charlotte, dont j'ai déjà parlé, il y a eu Bernard Taillefert, un
charpentier de Val d'Isère, qui n'avait jamais fait d'architecture mais qui avait une fabuleuse
connaissance du bois, étant compagnon du tour de France. Je l'ai présenté à Charlotte et elle en
a fait un architecte, l'architecte des Arcs.
Que transmettre aux étudiants ?
Int. : Il y a quelque temps, Jean René Fourtou, interrogé par Georges-Yves Kervern sur le
thème : "A quoi servent les sciences de gestion ?", répondait : "J'ai été collaborateur, puis
dirigeant de Bossard pendant 18 ans et pourtant, devenu PDG de Rhône-Poulenc, je n'en
ai fait aucun usage et je me suis retrouvé autodidacte". J'apprends donc avec plaisir et
surprise que ce qu'on enseigne à l'Insead, ça sert quand on veut construire les Arcs.
R. G. : On n'y apprend peut-être pas la même chose. Je pense que la seule formation qu'on
puisse donner aux gens, c'est de les transformer pour qu'ils réagissent plus efficacement.
L'action de gestion proprement dite, ne relève pas de ce qu'il est possible d'enseigner.
C'est comme la cuisine et la chimie des mélanges : la cuisine n'est qu'une application de la
chimie des mélanges. Qui aurait pourtant l'idée qu'une école de cuisiniers puisse être confiée à
des chimistes ? Par contre, pour faire de bons cuisiniers il peut ne pas être mauvais de leur
donner quelques cours de chimie des mélanges. Mais après, c'est le tour de main qui va
compter.
Peut-on enseigner le tour de main ? Pour moi, oui et c'est le rôle des business schools. Ceux
qui sont formés au travers de ces systèmes doivent faire moins d'erreurs et progresser plus vite
que les autres. Ce n'est peut-être pas si mal.
Je crois que la principale utilité sociale du consultant, c'est de faire de la formation sans le
dire. Quand il est dans les entreprises, en fait il complète la formation des gens qu'ils a en face
de lui. Je fais une grande différence entre le métier d'ingénieur conseil ou le métier de formation
à la gestion et celui d'entrepreneur.
Int. : Après le savoir et le savoir-faire, il y une troisième dimension, à mon avis la plus
développée à l'Insead, c'est l'être. Ce qui me frappe dans votre aventure des Arcs, c'est à
quel point votre être a joué un rôle. C'est cela qu'on communique aux autres : on leur
donne l'envie de rêver, on leur fait partager des projets.
Ce qui me paraît important à l'Insead ce n'est pas tant le contenu des cours, mais le fait
que les étudiants puissent rencontrer des professeurs célèbres, qui arrivent auréolés de
prestigieux succès sur la planète entière et qui débordent d'un enthousiasme
communicatif. Ces gens de cinq nationalités, qui ont 5 ou 6 ans d'expérience, quand ils
sortent de là et ils se disent : "Je veux leur ressembler". Ils vont alors s'adonner à des
tâches qui leur permettront de se réaliser dans ce modèle, et ce qu'ils auront appris ne sera
pas inutile...
R. G. : Ce produit fini est à 95 % fabriqué à base de matières premières, alors l'input est très
important. A partir du moment où une école est capable d'attirer des gens de valeur, ce serait
bien le diable qu'elle n'arrive pas à restituer des gens de valeur ! On en est là dans la plupart des
grandes écoles, il ne faut pas se faire d'illusion. La principale condition du succès, c'est le
système de sélection. Bien sûr, il y a à l'Insead un grand enthousiasme collectif à aller vers la
fonction d'entrepreneur. Mais ce n'est pas un problème de relation élève-professeur. Je dirais
que les moins entrepreneurs ce sont plutôt les enseignants. C'est entre les élèves que tout se
passe.
Quand j'ai participé à la construction de l'Insead j'ai beaucoup étudié ce processus en
particulier l'évolution historique des cours et de leur contenu. Doriot me disait : "Dans ma
carrière, j'ai tout enseigné" et il me ressortait alors tous les titres des cours qu'il avait fait dans
sa longue carrière. Sur ce, il concluait : "Les titres sont différents, mais en fait, j'ai toujours
enseigné la même chose. Alors, ne t'en fais pas, donne leur ce qu'ils veulent, mais enseigne
toujours la base."
Il disait aussi : "Dans un système de classement A, B, C, D, etc, si vous avez un homme
A qui a des idées B et un homme B qui a des idées A., lequel prenez-vous ? Faites le test.
9/10e des jeunes vous diront : on prend le B qui a des idées A, parce que ce qui compte ce
sont les idées. Et bien non, ce qui compte c'est la qualité de l'homme. Si vous avez réussi à
le faire comprendre au bout d'un an d'études, ils ont gagné beaucoup de temps dans leur
vie".