Le ski français attend son école des champions
La Fédération française de ski met la dernière main à son futur Centre national du ski de haut niveau. Trois villes sont candidates à l’accueil de cet « Insep des neiges »
Un hôtel cossu de Val-d’Isère. Dans un salon aux lumières tamisées, des notables de Chamonix parlent de stade de snowboard, de pistes dures comme de la glace, de programmes scolaires adaptés, de logements tout confort pour accueillir les jeunes espoirs français de la glisse.
Tour à tour se succèdent à la tribune le directeur du club des sports, Frédéric Comte et le proviseur de la cité scolaire Frison-Roche, Serge Ferrari. « Nous voulons construire une structure capable de faire gagner le ski français », conclut le maire de la commune, Éric Fournier.
C’était le 11 mars 2008. En marge des championnats du monde de ski, Chamonix est venue défendre sa candidature pour accueillir le futur Centre national de ski de haut niveau (CNSHN) à destination des skieurs cadets, juniors et seniors de l’équipe de France de ski alpin, de snowboard et de ski libre (bosses et ski cross).
« Insep des neiges »
La ville au pied du mont Blanc est la troisième à vanter ses atouts après les communes savoyardes d’Albertville et de Bourg-Saint-Maurice. La Fédération française de ski doit choisir entre les dossiers, solides, des trois candidats, à la fin du premier semestre. Avant d’ouvrir son pôle d’excellence en 2011, voire 2012.Les champions de la glisse patienteront jusque-là. Ils ont l’habitude : le projet « d’Insep des neiges », en référence à l’Institut des sports du bois de Vincennes, à Paris, qui prépare les athlètes des Jeux olympiques d’été, sommeille dans les cartons de la Fédération française de ski depuis des lustres. « On en parlait déjà il y a trente ans », précise l’ancien directeur technique national, Michel Vion.
Son successeur au poste, Fabien Saguez, en a fait sa priorité. « La France se classe 7e nation en ski alpin, 5e les meilleures années, rappelle-t-il. Mais nous souffrons d’un réel manque de densité. Nous avons du mal à façonner des skieurs de haut niveau. Nous sommes trop dispersés. »
Aujourd’hui, la formation sportive et scolaire des jeunes skieurs du Pôle France repose sur trois établissements : le lycée Jean- Moulin d’Albertville, celui des métiers de la montagne de Saint-Michel-de-Maurienne et un troisième à La Motte-Servolex.
"Aucun sport ne réussit sans un vrai camp de base"
« Les rythmes scolaires sont imposés, et rarement adaptés au nomadisme de nos espoirs, remarque Fabien Saguez. Au futur centre national, nous pourrons aménager des enseignements à la carte. » Sur les bancs de l’école de la glisse, prendront place une centaine d’élèves à partir de 15 ans, encadrés par une quarantaine de professeurs, entraîneurs, techniciens et médecins.En rassemblant les meilleurs espoirs des neiges sous un même toit, la Fédération française de ski veut s’inspirer des recettes en usage dans les principaux sports français. Les escrimeurs, judokas, athlètes ou lutteurs se préparent dans les locaux de l’Institut national des sports au milieu du bois de Vincennes.
Clairefontaine, dans l’Essonne, sert de refuge aux équipes de France et forme des futurs professionnels dès l’âge de 12 ans. Dans une commune voisine, le rugby a construit son centre sportif au début des années 2000. Même chose pour les disciplines nordiques, biathlon et ski de fond, concentrés sur Prémanon, dans le Jura.
« Aucun sport ne réussit sans un vrai camp de base, insiste Fabien Canu, directeur de la préparation olympique et paralympique (POP). Le projet nous paraît incontournable et l’État y porte un regard favorable. » Le futur centre contraindrait le ski français à resserrer son élite, ce qui correspond aux objectifs du gouvernement de réduire le nombre d’athlètes de haut niveau.
"Il faut dépenser moins d’énergie"
Quitte à laisser des skieurs sur le bas-côté. « Il faut dépenser moins d’énergie, moins d’argent, améliorer la détection, insiste Fabien Saguez. Nous avons deux fois plus de skieurs inscrits sur les listes de la Fédération internationale que les Autrichiens. » Ce qui n’empêche pas leurs skieurs de collectionner les médailles.La nation reine des pistes dispose d’ailleurs de deux fabriques à champion dans les stations de Schladming et de Stams. La seconde a ouvert ses portes dès la fin des années 1960, après la déconvenue des championnats du monde de Portillo (Chili) en 1966.
Cette année-là, la France de Jean-Claude Killy et des sœurs Goitschel est au sommet. L’équipe rafle 16 des 24 médailles distribuées. Un camouflet pour le ski autrichien. De cet échec, est née l’idée du centre de formation de Stams, bientôt secondé par celui de Schlamding. Sous la surveillance d’une centaine de professeurs et d’entraîneurs, près de 300 espoirs peaufinent leur technique sur des pistes réservées.
Pistes glacées à souhait
Un luxe vu de France. « Pour bien se préparer, il faut une piste de compétition. C’est-à-dire arrosée pour que la surface soit dure comme de la glace, témoigne Marion Bertrand, membre de l’équipe tricolore de géant. Cela demande des efforts financiers et humains que ne sont pas prêts à consentir nos stations. »Au final, l’encadrement doit sans cesse jongler avec la bonne volonté des communes alpestres. Quand certaines jouent le jeu, la plupart préfère réserver leur domaine aux touristes. « Nous ne sommes pas maîtres de notre terrain de jeu, ce qui est pénalisant », insiste Yves Dimier, le directeur technique national (DTN) de l’alpin.
Avec le futur centre national du ski de haut niveau, les skieurs disposeraient au contraire de pistes glacées à souhait et garnies de filets de sécurité pour préparer le géant, le slalom ou la descente. C’est un des points clés du cahier des charges fournis aux trois candidats.
Ne restera plus qu’à trouver les 2,5 millions d’euros de frais de fonctionnement annuel d’une telle structure. « Ce centre c’est une Rolls dont personne n’a l’argent pour la faire », s’est inquiété Hervé Gaymard, président du conseil général de la Savoie. « On trouvera les fonds nécessaires », rétorque Fabien Saguez. À suivre.
Olivier TALLES